samedi 12 septembre 2009

"The Brown Bunny" de Vincent Gallo


The Brown Bunny

The Brown Bunny
est un film sur la solitude, ou plutôt un film sur l’errance. The Brown Bunny est en fait un film sur le deuil ou peut-être l’ennui. The Brown Bunny est un film qui célèbre le cinéma américain des années 70, ode aux road-movies et à leurs paysages vidés.


 

Ce film est une expérience du temps, du temps qui ne passe pas, du temps qui attend, de la ligne et de son effroyable fin : c’est le voyage de Bud Clay (Vincent Gallo), aux confins de la tristesse et de la perdition.
Dans ce road-movie, on ne peut nier le caractère esthétisant de l’image, influencé par les seventies et ses voiles de surexposition légèrement rosés. Cependant, de ce genre à part entière qu’est le road-movie, Gallo emprunte surtout ces paysages vidés des hommes et de la ville, pour en retenir la ligne. Autoroute sans fin et ligne d’horizon parfaite, le décor est plat, à la fois brûlant du soleil du sud des États-Unis, mais surtout glacial, parce qu’implacablement linéaire. Bud Clay ne fait qu’avancer - lentement - au travers de ces vues découpées par son pare-brise, dans un décor aussi vide que le personnage semble l’être. Une errance donc, sûrement celle de son propre destin, un point inconnu vers lequel il semble aller, et qui ne se révèlera que de façon ultime à lui, mais aussi au spectateur.



Cependant, la ligne n’est pas seulement employée comme métaphore de « la ligne du destin » telle que l’autoroute semble la signifier. Elle est aussi la ligne d’horizon dans laquelle (au même titre que les personnages du film Gerry de Gus Van Sant) Bud Clay tente de disparaître. Dans la scène sur le lac salé, il enfourche sa moto après l’avoir sortie du van, démarre et fonce tout droit jusqu’au fond du plan, là où ciel et terre se touchent dans une nébuleuse ligne d’horizon, pour disparaître presque tout à fait en ce point. Deux hypothèses alors : tente-t-il de se fondre dans la vitesse, de n’être plus que sur sa moto et par là même de fuir le monde ? Ou tente-t-il de disparaître complètement dans le paysage, de se néantiser, en devenant lui-même partie du paysage ? En tout cas, ce qu’il fait, c’est fuir ; son deuil, c’est fuir cette vérité (la mort), mais aussi la vie elle-même, comme si à la simple possibilité de la mort répondait ainsi une étrange impossibilité du vivant, une incapacité à vivre.

Le road-movie a pour principe un voyage. L’on part d’ici pour aller là-bas, encore une fois une ligne, car l’on sait que l’on ne peut pas faire demi-tour ou tourner, le point de chute est devant. Alors, le temps se déroule, lentement, linéairement. Il ne sera pas cyclique, il ne sera pas le temps de la résurrection lorsqu’il en sera à son point ultime. Non, ce temps là avance inexorablement vers sa propre fin, la mort. Et ce personnage là le sait, il tente de piéger le temps en faisant des boucles sur des circuits avec sa moto, mais celles-ci sont stériles, enfermantes. Plus loin, sur sa moto, il veut toucher l’horizon, mais là encore cette fuite ne mène nulle part, seule la route le conduit, là où il peut être, quelque part. Alors c’est le temps qui défile, temps mortifère, parce qu’inscrit dans la chair comme une promesse de mort à venir. Prendre conscience de sa propre finitude et avancer vers : attendre, regarder, mettre sa veste et se doucher - et toujours tenter de tromper le temps. Ce personnage sur une ligne, se présente avant même la révélation finale, comme prisonnier tout entier de la mélancolie.

Ce voyage au travers des États-Unis est cependant ponctué par des rencontres. Dans une station service, il supplie la caissière de le suivre et, lorsqu’elle accepte, il s’enfuit la laissant valise à la main devant sa porte. Plus loin, sur une aire d’autoroute, c’est dans le silence d’un sanglot qu’il enlace une femme qu’il laissera aussi vite quand elle voudra le retenir. Et plus loin encore, ce sera une prostituée à qui il paiera à manger avant de la redéposer aussi vite à l’angle d’une rue. Ces différentes tentatives pour entrer en contact ou du moins communiquer avec ces femmes, rendent le personnage impuissant. Chercher mille femmes et n’en désirer aucune. Tenter d’y croire à chaque fois, et pourtant ne jamais y arriver. Cette impuissance est peut-être, au fond, sexuelle, comme celle de Dom Juan qui, pour la fuir, change sans cesse de maîtresse.

La scène de fin, révélateur ultime du film et clé de sa prégnante mélancolie, offre plusieurs réponses quant à cette impuissance, mais aussi à son errance, et ces lignes qu’il s’était assigné à suivre. Ainsi la tragédie qui le ronge nous est révélée quand le passé fait irruption dans son présent. Dans une chambre d’hôtel il attend une femme, Daisy. Elle arrive, ils se parlent peu, et s’ensuit une scène « d’amour » sans érotisme aucun, froide. Après, Bud parle. Il reproche à Daisy d’avoir perdu leur enfant à naître, lors d’un viol collectif. Cette dernière lui rappelle qu’il a tout vu et n’est pas intervenu. En dix minutes le cinéaste donne toutes les clefs : Daisy est morte. Un des contre-champs piège Bud seul sur son lit, éclairant tout le film comme un long travail de deuil. Il est donc légitime qu’éléments descriptifs, souvenirs de jours heureux (dans une scène avec la famille de Daisy), impossibilité d’avoir des rapports avec une autre femme s’entremêlent jusqu’à cette scène de fellation qui est dans l’ordre des choses en tant que conclusion substitutive du désir devenu, désormais, concrètement impossible.

La mélancolie qui rongeait le personnage est donc celle du deuil, celle du « plus jamais » qu’on ne peut admettre. Comment alors renouveler le désir, lorsque la femme que l’on cherche est morte ? Comment ne pas suivre ces lignes qui dans une rêverie nous ont rapprochées d’elle ? Et comment éviter la mélancolie lorsque sa propre vie se résume à courir après la mort?
The Brown Bunny - affiche
 
The Brown Bunny (2003) de Vincent Gallo, 1h30min.
Laetitia Ferrer

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