lundi 14 septembre 2009

Photographies et autochromes de Jules Antoine




Je connais « l’encadreur » depuis maintenant plusieurs années… Situé au 33 rue Doudeauville dans le 18° arrondissement de Paris, son atelier est l’un de ces lieux magiques, figés dans un temps fait d’objets et d’outils qui, d’un détail à l’autre, construisent un espace avec sa mythologie et sa mémoire propres.


C’est d’abord la boutique d’un matelassier, et l’on retrouve au plafond de l’atelier les crochets qui servaient à pendre les matelas. Plusieurs années passent et la boutique est revendue et coupée en deux lorsqu’un encadreur s’y installe. Plus tard, cet encadreur devient le maître d’apprentissage de Daniel Danzon, actuel propriétaire, qui découvrit, en achetant l’autre moitié de la boutique, de la tomette au sol qui révélait les heures de travail acharné d’anciens ouvriers et artisans. Des détails donc. Surtout, dans ce lieu unique, ce sont les objets qui deviennent porteurs de mémoire. Ici un mur de cartes et d’images qui raconte une vie de souvenirs, là un massicot qui flirte avec l’art déco, là encore un établi usé en son centre par des générations de travailleurs… Un petit transistor diffuse les chansons fraîches et décalées de FIP, et la voix de la présentatrice semble nous murmurer que tout va bien. L’endroit saisit par sa vie, et par le bien-être qui y règne.


Le sujet de l’article ici est bien Jules Antoine et ses autochromes sortis d’un autre temps. Mais il semble toujours difficile de ne pas parler des lieux qui accompagnent les images exposées lorsque l’alchimie entre les deux semble parfaite.


Arrière-petit-fils de Jules Antoine, Daniel Danzon nous propose donc dans son atelier une exposition d’autochromes ainsi que de photos en noir et blanc de son arrière-grand-père qu’il a pris soin d’encadrer lui même : de sobres cadres noirs entourent les noir et blanc, et un choix judicieux de cadres anciens hétéroclites vient parfaire ces images couleur d’un autre temps, les autochromes.


Jules Antoine est né en 1863 dans une famille de métayers dans la région de Limoges. Ayant traversé trois guerres durant sa vie (mais sans jamais en faire aucune – trop jeune puis trop vieux), rien ne laissait présager au départ sa réussite en tant qu’architecte voyer à Paris. De son amour de l’art (il étudia aux Beaux-Arts de Paris) naîtra une passion pour la photographie. A la fois intimistes et d’une sensibilité déconcertante, ses images ont pour sujet sa famille, et plus encore ses enfants. En rupture avec les cadrages conventionnels de l’époque pour le portrait, Jules Antoine s’approche près des visages, serre son cadre pour trouver les émotions justes.


Au détour d’une fécule de pomme de terre, les frères Lumière inventèrent en 1903 l’autochrome, et Jules Antoine s’en empara dès sa commercialisation en 1907. Le procédé reprend la plaque de verre enduite d’une solution photo-sensible pour créer l’image, mais y est ajoutée une pellicule de farine teintée d’orange, vert et violet, disposés uniformément pour faire apparaître les couleurs. Cependant, la sensibilité très faible oblige à des poses de plusieurs secondes et le format des plaques 9 × 12 impose des appareils lourds. Cela ne fera pas peur à Jules Antoine qui laissera derrière lui quelques centaines de plaques autochromes.


L’exposition s’étend sur les deux parties de l’atelier. D’un côté d’abord, les noir et blanc s’enchaînent sur la longueur du mur au rythme des auto-portraits et des tâches de rousseur de Marthe, sa fille, et des jeux mutins de Jean, son fils. Devant ce journal intime d’un autre temps, on est tour à tour saisi par l’intensité du regard de Jules, qui, dans une mise en scène au cadre serré, semble nous défier ; puis amusé par Marthe, qui, prenant très au sérieux son rôle de modèle, nous fait du charme en prenant la pose. De légers flous de bouger nous permettent de sentir les mouvements de la vie, traversant les âges grâce à cette galerie de portraits. 

La fille au bouton de Jules Antoine

De l’autre côté, un immense cadre accroche le regard. Il se compose de six images de couchers de soleil aux couleurs troublantes et semble annoncer la suite de l’exposition : les autochromes. Il m’est difficile de décrire la qualité d’image des autochromes tant cette esthétique m’était inconnue. De prime abord l’on pourrait penser à des photos noir et blanc coloriées, finement, par son auteur… mais se serait se tromper. Il faut s’approcher alors, voir le détail de l’image, voir la façon dont les intensités lumineuses s’allient aux camaïeux de couleurs ; comment le trait devient une nuance de violet, et l’étoffe d’une robe, de subtils dégradés orangés. L’image dévoile alors une sensibilité rare. Les longs temps de pose obligent à des mises en scène figées, cependant, dans un jardin verdoyant ou sur une dune de sable, le décor semble se mouvoir doucement dans la lumière découpée de l’été. Ce qui pourrait faire penser aux photos posées du début du siècle se révèle plus singulier. Ainsi l’une des photos de groupe au bord de la mer présente des femmes : il faudra alors encore s’approcher, toujours plus près, pour découvrir ici un regard qui n’est pas adressé au photographe, là une main qui cramponne un jupon… Encore une fois la vie qui surgit alors que l’on ne l’attendait pas.


L’on se penche après ces images sur une commode de bois ancien, quelques cartes postales, un livre d’or et une biographie de Jules. A sa lecture l’on apprend que son fils Jean est emporté trop tôt par une péritonite, et qu’après cela Jules ne fera plus de photos… La gorge se sert. La famille de Jules Antoine était déjà devenue, le temps de cet accrochage, ma famille, des visages que je reconnaissais et qui me touchaient.


Le vernissage se termine lentement, je repense à ces couchers de soleil avec une émotion certaine lorsque je me formule qu’ils sont sans doute parmi les premiers couchers de soleil couleur jamais pris… et je sens derrière moi poindre le regard de Jules à travers les années. Il est difficile alors de ne pas penser à Roland Barthes et sa photo du Jardin d’Hiver…


Les photographies de Jules Antoine ont été présentées aux Rencontres Photographiques d’Arles 2002 à la Caisse d’épargne, Place de la République.

Photo de Jules Antoine

Cadre Exquis vous invite à voir et revoir les photographies de Jules Antoine
Tirages inédits noir et blanc (1897-1900) et couleur (1907-1910)
Exposition du 10 Septembre au 10 Janvier 2010
Cadre Exquis - 31 rue Doudeauville
75018 Paris - 01 46 06 69 46
www.cadre-exquis.com


Laetitia Ferrer

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